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Le cœur se serre, l’esprit reste confondu au spectacle de tant de misères ; et cependant cet hôpital, si peu en harmonie avec sa destination, existait encore il y a soixante ans. C’est dans une capitale, centre des arts, des lumières, des mœurs polies ; c’est dans un siècle renommé par le développement de la richesse publique, par les progrès du luxe, par la création ruineuse d’une foule d’établissements consacrés à des délassements, à des plaisirs mondains et futiles ; c’est à côté du palais d’un opulent archevêque ; c’est à la porte d’une somptueuse cathédrale, que les malheureux, sous le masque trompeur de la charité, éprouvaient de si affreuses tortures. À qui imputer la longue durée de cette organisation vicieuse, inhumaine ?

Aux hommes de l’art ? Non, non, Messieurs ! Par une inconcevable anomalie, les médecins, les chirurgiens n’exercèrent jamais sur l’administration des hôpitaux qu’une influence secondaire, subordonnée. Non, non, les sentiments du corps médical pour les pauvres ne pouvaient être mis en doute à une époque et dans un pays où le médecin Petit (Antoine) répondait à la reine Marie-Antoinette irritée : « Madame, si je ne vins pas hier à Versailles, c’est que je fus retenu auprès d’une paysanne en couche, qui était dans le plus grand danger. Votre Majesté se trompe, d’ailleurs, quand elle prétend que j’abandonne le dauphin pour les pauvres : j’ai, jusqu’ici, traité le jeune enfant avec autant d’attention et de soin que s’il était le fils d’un de vos palefreniers. »

La préférence accordée aux plus souffrants, aux plus menacés, abstraction faite du rang et de la fortune ; telle