Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/246

Cette page a été validée par deux contributeurs.

absorbé par les devoirs impérieux de secrétaire de l’Académie, et, aussi, par une polémique littéraire ou politique de tous les jours, notre confrère se vit obligé de renoncer aux plaisirs vifs et purs que donnent les découvertes scientifiques, il n’en écrivait pas moins, comme d’Alembert malade, aux Euler, aux Lagrange, aux Lambert : « Donnez-moi des nouvelles de vos travaux. Je suis comme les vieux gourmands qui, ne pouvant plus digérer, ont encore du plaisir à voir manger les autres. »

Condorcet avait poussé si loin le besoin de se rendre utile, qu’il ne fermait jamais sa porte à personne ; qu’il était constamment accessible ; qu’il recevait chaque jour, sans humeur, sans même en paraître fatigué, les interminables visites des légions d’importuns, de désœuvrés dont r égorgent toutes les grandes villes, et au premier rang la ville de Paris. Donner ainsi son temps au premier venu, c’est la bonté poussée jusqu’à l’héroïsme.

Je ne parlerai pas du désintéressement de Condorcet ; personne ne l’a nié.

« En morale, disait-il dans une lettre à Turgot, je suis grand ennemi de l’indifférence et grand ami de l’indulgence. »

La phrase manquerait de vérité si on la prenait dans un sens absolu : Condorcet était très-indulgent pour les autres et très-sévère pour lui-même. Il portait quelquefois le rigorisme jusqu’à se préoccuper sérieusement, jusqu’à s’effaroucher de certaines formules de politesse qui ont cours dans la société, comme des pièces de monnaie dont on serait convenu de ne jamais examiner le titre. Ainsi,