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gendarmes le prisonnier encore inconnu qu’on devait conduire à Paris, il ne trouva plus qu’un cadavre. Notre confrère s’était dérobé à l’échafaud par une forte dose de poison concentré, qu’il portait depuis quelque temps dans une bague[1].

Bochard de Saron, Lavoisier, La Rochefoucauld, Malesherbes, Bailly, Condorcet, tel fut le lugubre contingent de l’Académie pendant nos sanglantes discordes. Les cendres de ces hommes illustres ont eu des destinées bien diverses. Les unes reposent en paix, justement entourées des regrets universels ; les autres sont soumises périodiquement au souffle empesté et trompeur des passions politiques.

J’espère que les forces ne trahiront pas ma volonté, et que bientôt, à cette même place, je pourrai dire ce que fut Bailly. Aujourd’hui, je n’aurais pas accompli ma tâche dans ce qu’elle a de plus sacré, même après tout ce que vous avez déjà entendu, si je n’écartais avec indignation de la mémoire de Condorcet une imputation calomnieuse. La forme du reproche adressé à notre confrère n’a pas calmé mes inquiétudes ; j’ai très-bien remarqué qu’on n’a parlé que de faiblesse, mais il est des circonstances où la faiblesse devient un crime.

En rendant compte de la déplorable condamnation de Lavoisier, une plume très-savante, très-respectable et très-respectée, écrivait, il y a quelques années :

« On se reposait sur les instances que quelques-uns des

  1. Ce poison (on en ignore la nature) avait été préparé par Cabanis. Celui avec lequel Napoléon voulut s’empoisonner à Fontainebleau, avait la même origine et datait de la même époque.