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nête homme, je n’ai pas besoin de vous en dire davantage. » Cette noble confiance ne fut pas trahie. Marcos entra même, au péril de sa vie, en relations directes avec Condorcet. C’était lui qui le pourvoyait de romans, dont notre confrère faisait une grande consommation.

Cependant, une distraction, un accident fortuit pouvaient tout perdre. Madame Vernet comprit que ses efforts finiraient par être vains, si l’on n’occupait pas fortement la tête du prisonnier.

Par son intermédiaire, madame de Condorcet et les amis de son mari le supplièrent de se livrer à quelque grande composition. Condorcet se rendit à ces conseils, et commença son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain.

Pendant que, sous l’égide tutélaire de madame Vernet, Condorcet enveloppait dans ses regards scrutateurs l’état passé et l’état futur des sociétés humaines, il réussit à détourner complétement ses pensées des convulsions terribles au milieu desquelles la France se débattait. Le Tableau des progrès de l’esprit humain n’offre pas, en effet, une seule ligne où l’acrimonie du proscrit ait pris la place de la raison froide du philosophe, et des nobles sentiments du promoteur de la civilisation. « Tout nous dit que nous touchons à l’époque d’une des grandes révolutions de l’espèce humaine… l’état actuel des lumières nous garantit qu’elle sera heureuse. » Ainsi s’exprimait Condorcet, lorsque déjà il n’espérait plus échapper aux poursuites actives de ses implacables persécuteurs ; lorsque le glaive de mort n’aurait attendu, pour frapper, que le temps de constater l’identité de la victime.