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mari, était née en Provence. Elle avait le cœur chaud, l’imagination vive, le caractère franc et ouvert ; sa bienfaisance touchait à l’exaltation. Ces qualités excluent les détours et les longues négociations. « Madame, lui dirent MM. Boyer et Pinel, nous voudrions sauver un proscrit.

— Est-il honnête homme, est-il vertueux ? — Oui, Madame. — En ce cas, qu’il vienne ! — Nous allons vous confier son nom. — Vous me l’apprendrez plus tard ; ne perdez pas une minute : pendant que nous discourons, votre ami peut être arrêté. »

Le soir même, Condorcet confiait sans hésiter sa vie à une femme dont, peu d’heures auparavant, il ignorait même l’existence.

Condorcet n’était pas le premier proscrit que recevait le n° 21 ; un autre l’y avait précédé. Madame Vernet ne consentit jamais, au sujet de cet inconnu, à satisfaire la bien légitime curiosité de la famille de notre confrère. Même en 1830, après un laps de temps de trente-sept années, ses réponses aux questions pressantes de madame O’Connor ne dépassaient pas de vagues généralités. Le proscrit, disait-elle, était grand ennemi de la révolution ; il manquait de fermeté, s’effrayait des moindres bruits de la rue, et ne quitta sa retraite qu’après le 9 thermidor. L’excellente femme ajoutait, avec un sourire empreint de quelque tristesse : « Depuis cette époque, je ne l’ai pas revu ; comment voulez-vous que je me rappelle son nom. »

À peine entré, au commencement de juillet 1793, dans sa cellule de la rue Servandoni, notre ancien confrère y éprouva des tortures morales, cruelles. Ses revenus avaient été saisis ; il ne pouvait pas disposer d’une