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méprisables adversaires ; mais le mépris implicite ne suffit pas à celui dont la mission est de défendre un citoyen honorable, un confrère illustre, victime des plus basses calomnies.

Dans la société de Turgot, notre confrère était devenu un homme de progrès, non-seulement en économie sociale, mais aussi en politique. Placé très-près du pouvoir pendant dix-huit mois, il vit, jusque dans les détails les plus secrets, le jeu des rouages vermoulus de l’ancienne monarchie. Condorcet apprécia leur insuffisance, et quoique des changements dussent lui être personnellement préjudiciables, il ne laissa jamais échapper l’occasion d’en proclamer la nécessité. Je ne sais si ce noble désintéressement est aujourd’hui commun ; il ne l’était pas, du moins, au temps dont je parle : témoin le fermier général jouissant à ce titre de deux ou trois cent mille livres de rente, lequel, s’adressant à Condorcet, lui disait naïvement : Pourquoi donc innover, Monsieur ? Est-ce que nous ne sommes pas bien ?

Non, assurément, les honnêtes gens n’étaient pas bien dans un temps où Turgot, ministre, mandait à notre confrère : « Vous avez grand tort de m’écrire par la poste ; vous nuirez ainsi à vous et à vos amis. Ne m’écrivez donc rien, je vous en prie, que par des occasions ou par mes courriers. »

Le cabinet noir décachetant les lettres adressées à un ministre ! En faut-il davantage pour caractériser une époque ?

Pour connaître les améliorations dont la France était avide, Condorcet n’eut pas besoin, en 1789, de consulter