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nièce par sa mère de MM. Fréteau et Dupaty, présidents au parlement. Comme tout le monde, notre confrère admira d’abord la rare beauté, les manières distinguées, l’esprit brillant et cultivé de cette jeune personne. Bientôt après, il découvrit que ces agréments s’alliaient au caractère le plus élevé, au cœur le plus droit, à une âme forte, à des sentiments inépuisables de charité. Condorcet devint alors vivement épris de mademoiselle de Grouchy et la demanda en mariage. Notre confrère avait quarante-trois ans, et des revenus assez médiocres ; mais telle était la vivacité de sa passion, qu’il ne stipula rien par écrit avec ses futurs parents sur la dot de sa femme ; qu’il n’y eut qu’un contrat verbal.

Nous voilà bien loin du caractère calculateur, glacial, qu’on a prêté à Condorcet. Eh ! Messieurs, c’est que ce caractère supposé, dont j’aurai l’occasion de parler plus d’une fois, avait été modelé sur celui de divers académiciens pour qui notre confrère professait une amitié, une admiration sans limites, et avec lesquels on supposa à tort qu’il sympathisait de toute manière, et sur tous les sujets.

Dans ce temps-là, sauf de rares exceptions, les savants, les mathématiciens, surtout, étaient regardés dans le monde comme des êtres d’une nature à part. On aurait voulu leur interdire le concert, le bal, le spectacle, comme à des ecclésiastiques. Un géomètre qui se mariait semblait enfreindre un principe de droit. Le célibat paraissait la condition obligée de quiconque s’adonnait aux sublimes théories de l’analyse. Le tort était-il tout entier du côté du public ? Les géomètres ne l’avaient-ils