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l’avait mise au nombre de ses premiers devoirs ; il la remplit toujours avec un scrupule religieux. Le général et madame O’Connor ont suivi son exemple.

Vous la savez, Messieurs, c’est à l’école philosophique du xviiie siècle que nous devons l’expression si heureuse de bienfaisance. Peut-être consentira-t-on maintenant à reconnaître qu’en enrichissant la langue, cette école n’entendait pas créer seulement un vain mot[1].

Les devoirs de secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences ; l’obligation d’entretenir une correspondance active avec les hommes instruits de tous les pays civilisés ; un penchant irrésistible à prendre part aux débats dont l’organisation politique et sociale du pays était chaque jour l’objet, décidèrent Condorcet, de très-bonne heure, à renoncer au grand monde. Le sacrifice ne dut pas lui coûter beaucoup, car dans l’éloge de Courtanvaux il avait défini ce tourbillon : la dissipation sans plaisir, la vanité sans motif, et l’oisiveté sans repos. En dehors de ses relations scientifiques, notre confrère ne fréquentait qu’un très-petit nombre de sociétés choisies, où, en contact avec les hommes éminents de l’époque, les jeunes gens apprenaient à discuter les questions les plus ardues, avec mesure, avec délicatesse, avec modestie. C’est dans une de ces réunions de famille que Condorcet rencontra, pour la première fois, en 1786, mademoiselle Sophie de Grouchy,

  1. Au moment de mettre sous presse, un ami m’assure que le mot bienfaisance se trouve déjà dans Balzac. Je n’ai pas eu le temps de vérifier le fait. En tout cas, je dirai avec d’Alembert : « L’abbé de Saint-Pierre est bien le véritable créateur du mot bienfaisance, puisque ce mot était resté enseveli chez ses prédécesseurs, et que lui l’a ressuscité et naturalisé. »