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Un pareil horoscope émanant de personnages si éminents, décida de l’avenir du jeune mathématicien. Malgré tout ce qu’il prévoyait de résistances de la part de sa famille, il résolut de se consacrer à la culture des sciences, et vint s’établir à Paris chez son ancien maître, M. Giraud de Kéroudou.

En sortant du collége, Condorcet était déjà un penseur profond. Je trouve dans une lettre de 1775, adressée à Turgot et intitulée Ma profession de foi, qu’à l’âge de dix-sept ans le jeune écolier avait porté ses réflexions sur les idées morales de justice, de vertu, et cherché (en laissant de côté des considérations d’un autre ordre) comment notre propre intérêt nous prescrit d’être justes et vertueux. Je développerai la solution pour la rendre intelligible, mais sans assurer qu’elle était inconnue lorsque Condorcet s’y arrêta. Je ne craindrais pas d’être au contraire affirmatif, s’il fallait se prononcer sur la nouveauté de la résolution extrême dont elle devint l’origine.

Un être sensible souffre du mal qu’éprouve un autre être sensible. Il est impossible que, dans la société, un acte injuste ou criminel ne blesse pas quelqu’un. L’auteur d’un pareil acte a donc la conscience d’avoir fait souffrir un de ses semblables. Si la sensibilité dont la nature l’a doué est restée intacte, il doit donc souffrir lui-même.

Ne pas émousser sa sensibilité naturelle doit être, au point de vue de l’intérêt, le moyen de fortifier en soi les idées de vertu et de justice.

Cette conséquence découlait rigoureusement des pré-