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grandes écoles, un Traité de calcul différentiel et de calcul intégral, publié sans nom d’auteur, sans titre et sans table de matières ; l’imprimeur, après de nombreuses tentatives, avait fini par comprendre que notre Ampère ne lui fournirait jamais les quelques lignes qui eussent été nécessaires pour donner au nouveau livre la forme que tous les livres ont eue, depuis le temps de Gutenberg.

Ne vous récriez pas, Messieurs, sur ce que ce fait offre d’extraordinaire. J’ai, à mon sens, quelque chose de plus étrange encore à vous raconter.

Fresncl, ce physicien illustre qui poussait l’art des expériences jusqu’à ses dernières limites ; qui, dans la discussion des phénomènes les plus complexes, parvenait, à force de génie, à se passer des secours puissants, mais peu accessibles, qu’on trouve aujourd’hui dans l’analyse transcendante ; Fresnel, en mourant, laissa dans le monde scientifique un vide immense. Ampère, sous un rapport au moins, aurait pu le combler. Des amis lui en parlèrent. Ils firent briller à ses yeux le grand avenir de gloire, d’utilité, qui s’allierait à une renommée déjà européenne. La démarche fut sans résultat. Ampère était arrêté par une incroyable difficulté : il ne pouvait accepter la mission qu’on lui offrait, attendu, disait-il, qu’elle le mettrait dans l’obligation de lire deux Mémoires sur la théorie des ondes, dont M. Poisson venait d’enrichir les sciences ! (Les deux Mémoires embrassent une centaine de pages, et sont écrits avec l’élégante clarté qui distingue tous les travaux de l’illustre géomètre !) L’excuse d’Ampère étonnera tout le monde ; eh bien, notre ami la donnait d’un ton si pénétré, qu’il y aurait eu vraiment de la barbarie à s’en fâcher.