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tour de fortune ne profitât qu’à nous seuls, et nous fîmes des libéralités qui furent très-bien accueillies par nos compagnons de captivité. Si cette vente de ma montre nous apportait quelque soulagement, elle devait plus tard plonger une famille dans la douleur.

La ville de Rosas tomba au pouvoir des Français, après une courageuse résistance. La garnison prisonnière fut envoyée en France, et passa naturellement à Perpignan. Mon père, en quête de nouvelles, allait partout où des Espagnols se trouvaient réunis. Il entra dans un café au moment où un officier prisonnier tirait de son gousset la montre que j’avais vendue à Rosas. Mon bon père vit dans ce fait la preuve de ma mort et tomba évanoui. L’officier tenait la montre de troisième main, et ne put donner aucun détail sur le sort de la personne à qui elle avait appartenu.


XXIX.


La casemate étant devenue nécessaire aux défenseurs de la forteresse, on nous transporta dans une petite chapelle où l’on déposait pendant vingt-quatre heures les morts de l’hôpital. Là, nous étions gardés par des paysans venus, à travers la montagne, de divers villages et particulièrement de Cadaquès. Ces paysans, très-empressés de raconter ce qu’ils avaient vu de curieux pendant leur campagne d’un jour, me questionnaient sur les faits et gestes de tous mes compagnons d’infortune. Je satisfaisais amplement leur curiosité, étant le seul de la troupe qui sût parler l’espagnol.

Pour capter leur bienveillance, je les questionnais moi-