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Très-peu rassuré par les dernières paroles du juge instructeur, je cherchai momentanément mon salut d’un autre côté.

J’étais possesseur d’un sauf-conduit de l’amirauté anglaise ; j’écrivis donc une lettre confidentielle au capitaine d’un vaisseau anglais, l’Aigle, je crois, qui avait jeté l’ancre depuis quelques jours dans la rade de Rosas. Je lui expliquai ma position. « Vous pouvez, lui disais-je, me réclamer, puisque j’ai un passe-port anglais. Si cette démarche vous coûte trop, ayez la bonté de prendre mes manuscrits et de les envoyer à la Société royale de Londres. »

Un des soldats qui nous gardaient et à qui j’avais eu le bonheur d’inspirer quelque intérêt, se chargea de remettre ma lettre. Le capitaine anglais vint me voir ; il s’appelait, si j’ai bonne mémoire, George Eyre. Nous eûmes une conversation particulière sur le bord de la plage. George Eyre croyait peut-être que les manuscrits de mes observations étaient contenus dans un registre relié en maroquin et doré sur tranche. Lorsqu’il vit que ces manuscrits se composaient de feuilles isolées, couvertes de chiffres, que j’avais cachées sous ma chemise, le dédain succéda à l’intérêt, et il me quitta brusquement. Revenu à son bord, il m’écrivit une lettre que je retrouverais au besoin, et dans laquelle il me disait : « Je ne puis pas me mêler de votre affaire. Adressez-vous au gouvernement espagnol ; j’ai la persuasion qu’il fera droit à votre réclamation, et ne vous molestera pas. » Comme je n’avais pas la même persuasion que le capitaine George Eyre, je pris le parti de ne tenir aucun compte de ses conseils.