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avait mené des chèvres près d’une de mes stations, quelle était l’origine de cette dénomination, dont ses compatriotes se montraient si offensés :

« Je ne sais, me dit-il en souriant finement, si je dois vous répondre. — Allez, allez, lui dis-je, je puis tout entendre sans me fâcher. — Eh bien, le mot de schuros veut dire qu’à notre grande honte, nous avons quelquefois été gouvernés par des rois français. Le souverain, avant de prendre le pouvoir, était tenu de promettre sous serment de respecter nos franchises et d’articuler à haute voix les mots solennels lo Juro ! Comme il ne savait pas prononcer la Jota, il disait schuro. Êtes-vous satisfait, señor ? — Je lui répondis : Oui, oui ! Je vois que la vanité, que l’orgueil ne sont pas morts dans ce pays-ci. »

Puisque je viens de parler d’un pâtre, je dirai qu’en Espagne, la classe d’individus des deux sexes préposée à la garde des troupeaux m’apparut toujours moins éloignée qu’en France des peintures que les poëtes anciens nous ont laissées des bergers et des bergères, dans leurs poésies pastorales. Les chants par lesquels ils cherchent à tromper les ennuis de leur vie monotone sont plus distingués dans la forme et dans le fond que chez les autres nations de l’Europe auprès desquelles j’ai eu accès. Je ne me rappelle jamais sans surprise qu’étant sur une montagne située au point de jonction des royaumes de Valence, d’Aragon et de Catalogne, je fus tout à coup enveloppé dans un violent orage qui me força de me réfugier sous ma tente et de m’y tenir tout blotti. Lorsque l’orage se fut dissipé et que je sortis de ma retraite, j’entendis, à mon grand étonnement, sur un pic isolé