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dant, souffrait de voir que le chef de la colonne infernale, que celui qui comptait tant d’actions d’éclat, que l’estimable auteur des Origines gauloises, faut-il le dire aussi, qu’un correspondant de l’Institut, arriverait sur le Rhin comme le plus obscur combattant. Le titre de premier grenadier de France frappe son imagination ; Latour d’Auvergne en est revêtu par un acte officiel, et dès ce moment, sans quitter ses épaulettes de grenadier, il devint aux yeux des soldats l’égal, si ce n’est le supérieur des premiers dignitaires de l’armée.

Le premier grenadier de la République fut tué d’un coup de lance le 27 juin 1800, à la bataille de Neubourg. L’armée, la France tout entière, pleurèrent amèrement cette perte. Quant à Carnot, sa douleur profonde lui inspira une pensée que l’antiquité, d’ailleurs si idolâtre de la gloire militaire, pourrait nous envier. D’après un ordre émané de lui, lorsque la 46e demi-brigade était réunie, l’appel commençait toujours par le nom de Latour d’Auvergne. Le grenadier placé en tête du premier rang s’avançait alors de deux pas, et répondait de manière à être entendu sur toute la ligne : Mort au champ d’honneur !

L’hommage bref, expressif, solennel, qu’un régiment rendait ainsi chaque jour à celui qui s’était illustré dans ses rangs par le courage, par le savoir, par le patriotisme, devait, ce me semble, y entretenir cette excitation qui enfante les héros. J’affirme, en tous cas, que les nobles paroles de Carnot, répétées à la chambrée, au corps de garde, sous la tente, au bivouac, avaient profondément gardé le souvenir de Latour d’Auvergne dans