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pesant de l’esprit de corps. L’âge mûr ne démentit pas un si honorable début. Carnot trouva aussi dans sa raison élevée le secret de se soustraire aux préoccupations, quelquefois passablement burlesques, des hommes trop exclusivement livrés à une spécialité. Les officiers du génie eux-mêmes n’ont pas toujours échappé à de semblables travers. Eux aussi poussent quelquefois jusqu’à l’exagération les conséquences d’un excellent principe. On en a vu, je suis du moins certain de l’avoir entendu dire, on en a vu qui ne parcourent pas une vallée, qui ne gravissent pas une colline, qui ne franchissent pas un pli de terrain sans former le projet d’y établir une grande fortification, un château crénelé, ou une simple redoute. La pensée qu’avec la facilité actuelle des communications, chaque point du territoire peut devenir un champ de bataille les obsède sans cesse ; c’est pour cela qu’ils s’opposent à l’ouverture des routes, à la construction des ponts, au défrichement des bois, au desséchement des marais. Les places de guerre ne leur paraissent jamais complètes ; chaque année, ils ajoutent de nouvelles et dispendieuses constructions à celles que les siècles y avaient déjà entassées ; l’ennemi aurait, sans aucun doute, beaucoup à faire pour franchir tous les défilés étroits et sinueux, toutes les portes crénelées, tous les ponts-levis, toutes les palissades, toutes les écluses destinées aux manœuvres d’eau, tous les remparts, toutes les demi-lunes que réunissent les forteresses modernes ; mais en attendant un ennemi qui ne se présentera peut-être jamais, les habitants d’une cinquantaine de grandes villes sont privés de génération en génération, de certains agréments,