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l’organiser, la discipliner, l’instruire : Carnot en tira quatorze armées. Il fallut lui créer des chefs habiles ; notre confrère savait, avec certain général athénien, que mieux vaudrait une armée de cerfs commandée par un lion, qu’une armée de lions commandée par un cerf ; Carnot fouilla sans relâche la mine féconde, inépuisable des sous-officiers ; comme je l’ai déjà dit, son œil pénétrant allait dans les rangs les plus obscurs chercher le talent uni au courage, au désintéressement, et l’élevait rapidement aux premiers grades. Il fallut coordonner tant de mouvements divers ! Carnot, comme l’Atlas de la Fable, porta seul, pendant plusieurs années, le poids de tous les événements militaires de l’Europe ; il écrivait lui-même, de sa main, aux généraux ; il leur donnait des ordres détaillés où toutes les éventualités étaient minutieusement prévues ; ses plans, celui qu’il adressa à Pichegru, par exemple, le 21 ventôse an ii, semblaient le fruit d’une véritable divination. Les faits vinrent tellement justifier les prévisions de notre confrère, que pour écrire le récit de la mémorable campagne de 1794 on aurait à peine quelques noms propres de villages à changer dans les instructions qu’il avait adressées au général en chef. Les lieux où il fallait livrer bataille, ceux où l’on devait se borner à de simples démonstrations, à des escarmouches ; la force de chaque garnison, de chaque poste, tout est indiqué, tout est réglé avec une admirable netteté. C’est sur un ordre de Carnot que Hoche se dérobe un jour à l’armée prussienne, traverse les Vosges, et, se réunissant à l’armée du Rhin, va frapper sur Wurmser un coup décisif qui amène la délivrance de l’Alsace.