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pu avoir pour moi les conséquences les plus fatales ; voici le fait.

J’ai raconté plus haut la scène qui fit expulser le fils de Brissot de l’École polytechnique. Je l’avais totalement perdu de vue depuis plusieurs mois, lorsqu’il vint me rendre visite à l’Observatoire, et me plaça dans la position la plus délicate, la plus terrible où un honnête homme se soit jamais trouvé.

« Je ne vous ai pas vu, me dit-il, parce que, depuis ma sortie de l’École, je me suis exercé chaque jour à tirer le pistolet ; je suis maintenant d’une habileté peu commune, et je vais employer mon adresse à débarrasser la France du tyran qui a confisqué toutes ses libertés. Mes mesures sont prises ; j’ai loué une petite chambre sur le Carrousel, tout près de l’endroit où Napoléon, après être sorti de la cour, vient passer la revue de la cavalerie : c’est de l’humble fenêtre de mon appartement que partira la balle qui lui traversera la tête. »

Je laisse à deviner avec quel désespoir je reçus cette confidence. Je fis tous les efforts imaginables pour détourner Brissot de son sinistre projet ; je lui fis remarquer que tous ceux qui s’étaient lancés dans des entreprises de cette nature avaient été qualifiés par l’histoire du nom odieux d’assassin. Rien ne parvint à ébranler sa fatale résolution ; j’obtins seulement de lui, sur l’honneur, la promesse que l’exécution serait quelque peu ajournée, et je me mis en quête des moyens de la faire avorter.

L’idée de dénoncer le projet de Brissot à l’autorité ne traversa pas même ma pensée. C’était une fatalité qui