Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 1.djvu/396

Cette page a été validée par deux contributeurs.

aurait pu conjurer l’orage ; que la résistance serait devenue plus vive, mieux ordonnée. On oubliait que nulle part et à Grenoble moins encore que partout ailleurs, on ne put organiser même un simulacre de résistance. Voyons enfin comment cette ville de guerre, dont la seule présence de Fourier eût prévenu la chute, voyons comment elle fut prise. Il est huit heures du soir. La population et les soldats garnissent les remparts. Napoléon précède sa petite troupe de quelques pas ; il s’avance jusqu’à la porte, il frappe (rassurez-vous, Messieurs, ce n’est pas une bataille que je vais décrire), il frappe avec sa tabatière ! « Qui est là ? crie l’officier de garde. – C’est l’Empereur ! ouvrez ! – Sire, mon devoir me le défend. – Ouvrez vous dis-je ; je n’ai pas de temps à perdre. – Mais, sire, lors même que je voudrais vous ouvrir, je ne le pourrais pas : les clefs sont chez le général Marchand. – Allez donc les chercher. – Je suis certain qu’il me les refusera. – Si le général les refuse, dites-lui que je le destitue. »

Ces paroles pétrifièrent les soldats. Depuis deux jours, des centaines de proclamations désignaient Bonaparte comme une bête fauve, qu’il fallait traquer sans ménagement ; elles commandaient à tout le monde de courir sus, et cet homme cependant menaçait le général de destitution ! Le seul mot destituer effaça la faible ligne de démarcation qui sépara un instant les vieux soldats des jeunes recrues ; un mot plaça la garnison tout entière, dans les intérêts de l’Empereur.

Les circonstances de la prise de Grenoble n’étaient pas encore connues, lorsque Fourier arriva à Lyon. Il y ap-