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rance ; alors, M. Lagrange lui dit en termes formels :

« Vous-même, monsieur de Laplace, quand vous entrâtes à l’Académie, vous n’aviez rien fait de saillant ; vous donniez seulement des espérances. Vos grandes découvertes ne sont venues qu’après. »

Lagrange était le seul homme en Europe qui pût avec autorité lui adresser une pareille observation.

M. de Laplace ne répliqua pas sur le fait personnel ; mais il ajouta : « Je maintiens qu’il est utile de montrer aux jeunes savants une place de membre de l’Institut comme une récompense pour exciter leur zèle. »

« Vous ressemblez, répliqua M. Hallé, à ce cocher de fiacre qui, pour exciter ses chevaux à la course, attachait une botte de foin au bout du timon de sa voiture. Les pauvres chevaux redoublaient d’efforts, et la botte de foin fuyait toujours devant eux. En fin de compte, cette pratique amena leur dépérissement, et bientôt après leur mort. »

Delambre, Legendre, Biot, insistèrent sur le dévouement et ce qu’ils appelaient le courage avec lesquels j’avais combattu des difficultés inextricables, soit pour achever les observations, soit pour sauver les instruments et les résultats obtenus. Ils firent une peinture animée des dangers que j’avais courus. M. de Laplace finit par se rendre en voyant que toutes les notabilités de l’Académie m’avaient pris sous leur patronage ; et, le jour de l’élection, il m’accorda sa voix. Ce serait pour moi, je l’avoue, un sujet de regrets, même aujourd’hui, après quarante-deux ans, si j’étais devenu membre de l’Institut sans avoir obtenu le suffrage de l’auteur de la Mécanique céleste.