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bête fauve, nous avions voulu le rendre habile dans le maniement des armes, en lui donnant quelques leçons d’escrime ; mais il ne pouvait endurer l’idée que des chrétiens le touchassent à tout coup avec des fleurets ; alors il nous proposait de substituer au simulacre de duel un combat effectif avec le yatagan.

On se fera une idée exacte de cette nature brute, lorsque je raconterai qu’un jour, ayant entendu un coup de pistolet dont le bruit partait de sa chambre, on accourut, et on le trouva baigné dans son sang ; il venait de se tirer une balle dans le bras pour se guérir d’une douleur rhumatismale.

Voyant avec quelle facilité les deys disparaissaient, je dis un jour à notre janissaire : « Avec cette perspective devant les yeux, consentiriez-vous à devenir dey. — Oui, sans doute, répondit-il. Vous paraissez ne compter pour rien le plaisir de faire tout ce qu’on veut, ne fût-ce qu’un seul jour ! »

Lorsqu’on voulait circuler dans la ville d’Alger, on se faisait généralement escorter par le janissaire attaché à la maison consulaire ; c’était le seul moyen d’échapper aux insultes, aux avanies et même à des voies de fait. Je viens de dire : c’était le seul moyen ; je me suis trompé, il y en avait un autre, c’était d’aller en compagnie d’un lazariste français âgé de soixante-dix ans, et qui s’appelait, si j’ai bonne mémoire, le père Josué ; il résidait dans ce pays depuis un demi-siècle. Cet homme, d’une vertu exemplaire, s’était voué avec une abnégation admirable au service des esclaves de la Régence, abstraction faite de toutes considérations de nationalité. Le Por-