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SUR LE JEU ET LES JOUEURS.

QUATRIÈME NOUVELLE.


Le pape Léon, enviant la tranquille insouciance d’un berger, lui donne une poignée de ducats, et le pauvre homme n’eut depuis que des tracas.


Le comte Manfredi di Cotalto raconte que le pape Léon, se rendant à Montalto pour y chasser, passa auprès d’une fontaine à côté de laquelle était assis un pâtre, qui, voyant devant lui ce grand et pompeux cortége, ne se troubla nullement, ne parut pas s’en apercevoir ; mais, prenant une bouteille, en mit le goulot dans sa bouche, et, le visage tourné vers le ciel, but avec le plus grand sang-froid. Sa Sainteté, ayant pitié de l’ignorance de cette espèce de brute qui ne savait pas seulement qu’il existait un souverain pontife, mit la main à l’escarcelle, et, ayant retiré un paquet où étaient trois cents ducats, il les jeta à cet animal, qui ne se remuait même pas, en lui disant : « Prends, je ne veux pas que tu aies plus que moi du bon temps. » Aussitôt que ce rustre ouvrit le paquet, ses yeux, qui n’avaient jamais vu que des bois, des cavernes, des prairies, des ruisseaux, des précipices et des vallées, furent éblouis par l’éclat de l’or ; il lui sembla voir la splendeur du soleil. Cet homme des champs, dont les mains n’avaient touché que la houlette, le bassin plein de lait, les ci-