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sophe, un solitaire, maître incontesté de son arbre dont il se garde bien de donner l’adresse à personne. Parfois, fatigué de piquer les bourgeons du bec, il rentre le cou, secoue un peu sa robe lustrée, s’immobilise et semble dormir. Mais il ne dort pas, il médite, perdu dans ses rêves de corbeau, et regardant là-bas à l’horizon, par delà un océan de toits qui fument, la belle ceinture de collines où pour lui d’autres bourgeons mûrissent. Puis, de temps en temps, sans quitter la branche que ses pattes serrent, il se soulève, bat des ailes, bruyamment et paresseusement, et pousse, j’imagine à mon intention, un cri d’une rauque douceur qui dit l’absolu de son bien-être. Ainsi fait l’heureux corbeau depuis l’aurore jusqu’à l’heure où le soleil couchant viendra colorer de rouge le ciel entre les pignons et les cheminées. Alors, avec un croassement d’adieu, il s’envole, noir lamé de bleu sur fond d’or, et magnifique à voir comme une laque japonaise.

Il y a chez moi une vieille estampe, trouvée je ne sais plus où dans un grenier d’oncle en province, et représentant, au milieu d’un cimetière semé de croix et de tombes, un corbeau gigantesque perché sur un crâne. Un long ruban explicatif lui sort du bec ainsi que dans les miniatures primitives, et sur ce ruban on lit : Cras !… Cras !… Cras !… naïve onomatopée et calembour ecclésiastique qui signifie : « De-