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C’est au café de la Chartreuse que s’était recrutée notre troupe, composée, outre le pianiste, de trois dames artistes et deux chanteurs dont un nègre. Une des dames avait déjà lié son sort au sort du chanteur le moins foncé ; mais les deux autres étaient libres : le pianiste n’étant occupé qu’à se venger de son destin en fourrant sournoisement des accompagnements wagnériens sous les gaudrioles en vogue, et le nègre affectant des attitudes de Don Juan blasé que justifiait, paraît-il, tout un passé de bonnes fortunes en haut lieu. Sans perdre un instant, et personne ne s’en offusqua ! nous nous établîmes, mon ami et moi, les cavaliers-servants des deux isolées.

Métier agréable s’il en fut ! Officiellement admis dans la troupe et traités en frères désormais, on passait le temps aux heures de loisir à courir les bois, à explorer les bords du lac et à manger des gibelottes ; puis le soir, pendant la représentation qui durait ininterrompue de sept heures jusqu’à minuit, tout Saint-Gratien pouvait nous contempler présidant à la recette, et guidant du bout des doigts à travers les bancs et les tables celle des trois dames dont c’était le tour de quêter. Vivement impressionné par la nouveauté du cérémonial, le public paysan ne se faisait pas trop tirer l’oreille, et la monnaie grêlait dans le seau de fer-blanc, que j’avais eu l’idée d’acheter en guise d’aumonière et qui,