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Rien autour de lui ne révélait l’artiste, si ce n’est un piano d’ailleurs fermé pour faire étagère à des vases de fleurs, et, au-dessus du piano, s’accrochant au mur, quelque chose qui me parut un squelette de couronne, car il y pendait le nœud d’un ruban fané où luisaient des lettres d’or, et une feuille, la dernière restée ; indiquait que la couronne avait dû jadis être faite d’une branche de laurier.

Ceci réveilla mes souvenirs… Tandis que Marc-Antoine tisonnait, je me rappelai le soir du triomphe et cette Symphonie virgilienne où, tentant l’irréalisable, retrouvant l’âme du poète éparse à tous les horizons de son œuvre, et mêlant prodigieusement dans une tempête d’orchestre l’épopée à l’idylle, l’Énéide avec les Bucoliques, le musicien — sur un fond apaisé de paysage : mugissements de bœufs, soupirs de pins dans la brise et longs murmures de fontaines, — faisait passer, par une géniale évocation, les deux grandes dominatrices du monde : la violence et la douleur ! les fanfares des guerriers Troyens et les sanglots d’amour de la reine Tyrienne abandonnée. C’est ce soir-là qu’au milieu de l’applaudissement universel, une femme inconnue, une étrangère, belle comme le sont les déesses, avait offert à Marc-Antoine, pale d’orgueil, ivre de nobles espérances, ce rameau de laurier tout exprès cueilli, disait-on, sur le tombeau même de Virgile.