Page:Arène - La vraie tentation du grand Saint Antoine - contes de Noël, 1880.djvu/94

Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
mon ami naz.

avec son plafond à solives, sa fenêtre qui regarde la Durance, et la bataille d’Isly accrochée au mur.

Ô joie, ô paresse !… Le collège à deux pas (parfois même nous en entendions la cloche), et du soleil plein la fenêtre, et la grande voix de la Durance qui montait.

— Une topette de sirop, mère Nanon !

— De sirop, petits ?… Est-ce de gomme ou de capillaire ?

— De capillaire, mère Nanon.

Et la mère Nanon apportait une topette de capillaire. De la pointe d’un couteau, elle enlevait dextrement le petit bouchon, puis renversait la topette, le col en bas, dans le goulot d’une carafe pleine de belle eau claire. Le sirop s’écoulait lentement, avec un joli bruit, comme le sable d’un sablier. L’eau claire, le sirop s’y mêlant, se troublait de petits nuages couleur d’opale et d’agate, et de grosses guêpes attirées montaient et descendaient le long du verre, curieusement.

Mon ami Naz — qui était en fonds ce jour-là — but à lui tout seul huit ou dix carafes. Puis, la tête échauffée, il se mit au billard, à faire la partie !

Je le vois encore ce billard : un solennel billard à blouses, du temps de Louis le quatorzième, décoré de grosses têtes de lion à ses quatre coins, têtes de lion qui ouvraient avec bruit leur gueule en cuivre, chaque fois qu’au hasard de la partie une bille tombait dedans. Les billes, d’ailleurs, étaient en buis,