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la vraie tentation du grand saint antoine.

bruits très doux, vagues d’abord et pareils à ceux que le voyageur transi entend sortir d’une hôtellerie fumante et close, mais qui, distincts de plus en plus, finirent par se fondre en une merveilleuse musique de broches qu’on fourbit, de casseroles qu’on récure, de bouteilles qui se vident, de verres qui s’emplissent, de fourchettes piquant l’assiette et de tournebroches qui carillonnent, demandant à être remontés.

Tout à coup, la musique cessa, un choc violent fit frémir les ais de ma cabane, le volet s’ouvrit, la porte tomba, et, le vent s’engouffrant, ma lampe s’éteignit.

Je croyais déjà respirer la suie et le soufre… Pas du tout ! Le vent infernal arrivait cette fois chargé de bonnes odeurs et sentait le caramel et la cannelle ; depuis l’entrée du vent il faisait très doux dans ma cabane.

À un moment, j’entendis crier Barrabas ; on l’avait déniché dans sa cachette : « Allons, bon ! me dis-je, voilà les vieilles plaisanteries qui recommencent ; ils vont encore lui attacher une pièce d’artifice à la queue ; ces messieurs les démons sont peu inventifs ! » Et, m’oubliant moi-même, je priai le ciel d’accorder à mon compagnon la force de supporter l’épreuve. Mais comme il criait de plus en plus fort, je me hasardai à ouvrir les yeux, et, ma lampe s’étant soudainement rallumée, je vis l’infortuné martyr tenu par la queue et les oreilles, en train de se débattre au milieu d’une ronde de diables blancs.