Page:Arène - La gueuse parfumée - récits provençaux, 1907.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
88
LA GUEUSE PARFUMÉE


ment défilait. Il m’a semblé alors que nous marchions une troupe derrière lui, tous forts, tous braves, tous portés par la même espérance. Qu’était cette espérance ? Je l’ignore, mais c’était beau et généreux sûrement. Le petit fifre soufflait toujours chantant à l’unisson de ma joie, et il exprimait si justement ce qui se passait en moi-même, qu’à certain moment, ce fifre enragé je l’entends encore ! c’était mon âme, la propre âme de Jean-des-Figues qui chantait.

— Je pleurais comme vous, autrefois, dans les théâtres, me dit Bargiban avec un rire amer ; et il resta un moment, silencieux, à tordre sa moustache d’un air satanique.

L’omnibus roulait sur un pont.

— Tiens, s’écria tout à coup le sculpteur en couvrant d’un geste la grande ville, les quais sombres et la Seine où courait, reflétée dans l’eau, la lanterne rouge des fiacres, sois maudite, ô Rome, plus belle et plus âpre à l’argent que l’ancienne Rome ! ville qui ne sais pas te donner à ceux qui t’aiment, ville qui te ris de l’art à qui tu dois la gloire comme la courtisane de l’amour, sois maudite ! Et puissent te rajeunir les barbares ainsi qu’on rajeunit l’olivier, en le rasant au ras du sol, afin qu’il jette des pousses nouvelles.

J’avais peur ; Bargiban semblait tenir la torche de Néron. Je le voyais déjà se couronnant de roses pour regarder Paris flamber du haut de l’impériale. Mais