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LA GUEUSE PARFUMÉE.


Blanquet, pas plus que moi, n’avait le cœur à manger. Blanquet contemplait Paris, et voyant s’agiter à ses pieds cette mer de bruit et de lumières, il remuait l’oreille gauche avec inquiétude et reniflait. Puis, tout d’un coup, pris d’une terreur prodigieuse, il m’arrache le licou des mains, avant que j’aie songé à le retenir, et part, faisant feu des quatre pieds, vers la terre natale.

Je le suivis longtemps du regard : des chiens aboyaient après lui ; il culbutait sur son chemin des vieilles, des soldats, des gens en blouse ; et, quand il ne fut plus qu’un point noir à peine visible au bout de l’interminable allée, quand enfin il eut disparu, je descendis à mon tour, et passai la barrière, mais honteux, les mains dans les poches, baissant les yeux devant les douaniers assis et les carriers en bourgeron, qui ne s’arrêtaient pas de rire, appuyés sur leur chargement de terre glaise.

Comme cela ressemblait peu à l’entrée triomphale que Jean-des-Figues avait rêvée ! Paris me faisait peur maintenant. Je me figurais Blanquet courant du côté de Canteperdrix et de notre maison de la rue des Couffes. — Du train dont il va, me disais-je, il ne sera pas longtemps en route ! et l’envie me vint de le suivre. Ah ! si j’avais été, comme lui, libre de mon cœur et de mes actes ! Mais n’avais-je pas la bohémienne à oublier, la gloire à conquérir ?…

Je songeai d’abord à la gloire.