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LA GUEUSE PARFUMÉE.

moindre aventure. Pour logis, suivant l’état du ciel, l’auberge à piétons ou la belle étoile ; Blanquet se régalait d’herbe fraîche, moi de mes figues qui duraient toujours.

Tout âne qu’il fût, Blanquet se montra fort sensible aux mille surprises du voyage. Légèrement étonné d’abord, lui qui n’était jamais sorti de nos montagnes parfumées et sèches comme une poignée de lavande, il traversa d’un pas mélancolique le Dauphiné et ses sapins, Lyon et ses prairies noyées, la Bourgogne et ses grands vignobles, tous ces beaux pays qui ressemblaient si peu au sien ; et plus d’une fois, à notre halte du soir, tandis que moi-même assis sous un buisson, je vidais ma gourde au soleil couchant, je le vis, ce brave Blanquet, une bouchée d’herbe tremblant au coin de ses grosses lèvres, s’interrompre de son repas, s’orienter comme un musulman, et flairer dans le vent, l’œil humide, quelque lointaine odeur d’amande amère ou de romarin.

Ces tristesses de Blanquet augmentaient mes tristesses ; et plus d’une fois aussi, — pareil au poëte capitan Belaud de la Belaudière lorsqu’il vit les clochers d’Avignon s’effacer pour toujours dans les vapeurs claires du Rhône, — Jean-des-Figues, chevauchant au bord des routes et le cœur gros de Canteperdrix, emperla de larmes les pieds de sa monture.

Cependant, à mesure que Canteperdrix s’éloignait, nos mélancolies diminuèrent. La Champagne, bien