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LA GUEUSE PARFUMÉE

Mon propre équipement m’inquiétait davantage. Comment s’habillaient les poëtes ? sous quel costume me présenter à Paris ? Mon père optait pour une solide veste de cadis couleur d’amadou et un joli pantalon de cotonnade fauve. Ma mère, me voyant rougir, prononça tout bas le nom du tailleur à la mode où s’habillaient les jeunes élégants cantoperdiciens ; mais le brave homme fit semblant de ne pas entendre : — Attendez, dit-il tout à coup, je crois que j’ai notre affaire, et, avant que nous eussions le temps de nous reconnaître, il montait à la chambre d’en haut, ouvrait, refermait des commodes, et rapportait triomphalement un costume tout en velours, quelque peu fané, mais complet des pieds à la tête, le propre costume du cousin Mitre qu’il s’était commandé pour aller à Paris. La mort, hélas ! était survenue, ce pauvre Mitre n’avait jamais pu arriver à bout de rien, et le costume se trouvait neuf encore.

Un costume du plus pur 1830, mes amis ! Et ce qui doublait mon ravissement, c’est que j’avais vu dans la malle du cousin Mitre le portrait d’un de nos grands poëtes avec un costume pareil. — Il faudra peut-être le retailler, disait ma mère. O bonheur ! culotte et pourpoint m’allaient comme un gant, bien qu’une idée larges. Quelle joie quand je sentis, planant sur ma tête, le grand feutre mou des temps héroïques ; quand j’eus aux pieds des souliers jaunes, de vrais souliers à la poulaine relevés en bec d’oiseau