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JEAN-DES-FIGUES.


veux, personne n’entre ; j’ai là ma femme qui m’aime, ma fille qui est belle, mes meubles auxquels je suis habitué ; j’ai là ma fortune, mon repos, mon bonheur, ma paresse, mon génie, et vingt générations se sont tuées de travail jusqu’à mon père, pour que je pusse un jour, au nom de ma race tout entière, fermer ma porte comme je la ferme aujourd’hui.

Le fait est que cette diablesse de porte-là avait l’air deux fois plus fermée que les autres. Et cependant, toute fermée qu’elle fût, elle allait s’ouvrir devant Jean-des-Figues.

Mon père profitait des premiers beaux jours pour défricher un coin de terrain à notre champ de la Cigalière. « Ce travail donne une peine du diable, disait-il un soir au souper, j’ai défoncé à peine trois cannes de terre, et j’ai déjà brûlé de la marjolaine et du gramen haut comme ça ! Puis, cherchant quelque chose dans son gousset : Tiens, Jean-des-Figues, l’homme aux vases, voilà pour toi ; ce doit être romain. » Et le brave homme jeta sur la table une pièce d’argent large et mince, encore toute jaune de terre. Il n’est pas rare chez nous de trouver ainsi, en piochant ou en labourant, des monnaies romaines enfouies, et bien souvent, l’hiver, le long des remparts, j’ai vu un camarade se servir sans respect, pour jouer au bouchon, du bronze si commun de la colonie de Nîmes avec les deux têtes d’empereur et le crocodile enchaîné que nous appelions une Tarasque.