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LA GUEUSE PARFUMÉE.


petit canot, tout prêt à partir, amarré qu’il était avec ses rames, à l’embarcadère d’une villa.

Voici ce qui s’était passé :

La Fournigue est un petit rocher noir, si petit et si noir que, de loin, sur le fond clair de l’eau, dans cet immense espace qui sépare le cap d’Antibes des îles de Lérins, il fait assez l’effet d’une fourmi, d’une fournigue noyée.

Sur ce rocher de la Fournigue, îlot solitaire, avait, de tous temps, habité un phoque, phoque immémorial et respecté, qui venait là, chaque matin, au sortir de l’eau, chauffer au soleil provençal son ventre luisant et ses pattes courtes.

Seulement, depuis six mois, dégoûté des hommes ou mort de vieillesse, le vieux phoque ne paraissait point, et son absence désolait les habitants qui, n’ayant plus de phoque à montrer, montraient aux Anglais la place où, jadis, il y avait un phoque.

Aussi quelle joie quand, ce matin même, au petit jour, un Cannois, en chemin pour aller pêcher son poulpe, avait vu, en regardant la Fournigue par habitude, quelque chose remuer dessus !

— Le phoque ! s’était-il écrié.

Soudain, les falaises crevassées du cap, les lointains échos de l’Esterel avaient répondu : Le phoque ! et du Croton à la Napoule, dans les clos d’orangers, les olivettes et les pinèdes, parmi les chênes verts, les chênes-liéges, tout autour de la courbe blanche que