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LE CANOT DES SIX CAPITAINES.


taine, moi je soupçonne que c’est un homme. Je l’ai dit, personne n’a voulu m’écouter. Ils veulent tous que ce soit leur phoque. Ce qui n’empêche pas l’escadre américaine de tirer dessus à boulet rouge.

L’escadre américaine, de station cette année dans le golfe Juan, avait en effet choisi pour cible à ses exercices de tir l’îlot désert de la Fournigue ; et par-dessus la crête du cap, à quelques kilomètres, Cyprienne entendait distinctement le grondement sourd des bordées.

À ce bruit, une idée cruelle lui vint : le phoque, mais c’est Fabien ! c’est Fabien que les pirates de Brin-de-Bouleau ont, par vengeance, abandonné sur ce rocher désert ; c’est mon bien-aimé que l’escadre américaine canonne !

Et tandis que Varangod se dirigeait vers la ville pour revêtir, en l’honneur des courses, son costume de cérémonie, mademoiselle Cyprienne, folle de douleur, et voyant déjà, comme en rêve, son cher peintre ensanglanté sur le sable de l’îlot, gravissait à travers myrtes et cystes, à travers oliviers et pins la partie du cap qui regarde Antibes.

Arrivée sur la crête, elle s’arrêta un instant et chercha à travers ses larmes, sur la mer moirée du matin, l’escadre tonnant dans la fumée et un point, un rocher à peine visible au milieu des ricochets blancs que les boulets faisaient sur l’eau ; puis redescendant la pente opposée, elle courut jusqu’à un