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LE CANOT DES SIX CAPITAINES.

Ravi de tant d’honneur, à trente ans, il traînait la jambe ; à trente-cinq, il avait la goutte ; à quarante, âge où le trouve ce récit, vous auriez pu l’entendre se plaindre d’anciennes blessures.

Conduit par son étoile, Saint-Aygous s’était trouvé là le jour où Lancelevée et quatre capitaines parlaient de fonder le cercle nautique. Un sixième manquait, Saint-Aygous s’offrit, on l’accepta, et Saint-Aygous fut depuis, dans Antibes, capitaine pour tout de bon.

À part les campagnes qu’il n’avait pas faites et les blessures qu’il n’avait pas reçues, rien ne le distinguait des autres capitaines. Ses revenus eux-mêmes n’étaient pas des revenus et semblaient plutôt, grâce à leur fixité, une pension de retraite que le sol et le soleil antibois lui auraient payée tous les semestres.

Saint-Aygous n’était pas précisément rentier. Il n’exerçait aucune des paisibles industries que ses concitoyens exercent. Il n’avait pas de moulin à huile, il ne salait pas d’olives, il ne séchait pas de figues, il ne menuisait pas des cannes avec la palme des dattiers, il ne distillait pas la liqueur locale en macérant au soleil des baies de myrte dans de la vieille eau-de-vie, il ne combinait pas cette exquise saumure noire, le pey-sala, bouillie d’imperceptibles petits poissons triturés, qui jadis, sous le nom de garum, faisait se pourlécher les babines romaines, il ne pressurait pas