Page:Arène - La gueuse parfumée - récits provençaux, 1907.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
281
LE CANOT DES SIX CAPITAINES.

La recommandation était inutile.

— Vous, Escragnol, méfiez-vous de la langouste, mauvais pour la goutte, ça pique aux jambes.

— Mauvais pour la goutte et bon pour l’amour, interrompit le galant capitaine Varangod.

— Capitaine Varangod, méfiez-vous de l’amour !

Mais, en face d’une langouste, Escragnol et Varangod étaient inaccessibles à la crainte.

Le capitaine Barbe, toute querelle oubliée, piochait la bouillabaisse comme si elle eût été exclusivement composée d’oursins ; et le capitaine Arluc, comme si personne n’eût jamais songé à introduire des oursins dans la bouillabaisse.

Lancelevée semblait communiquer à la table entière quelque chose de son affectueux appétit.

— Ah ! quand j’avais de l’énergie, soupirait-il à chaque assiettée, j’aurais mangé en un repas quinze bouillabaisses pareilles ; mais je n’ai plus d’énergie maintenant ! Et, pour mieux prouver sa faiblesse, l’honnête homme donnait des coups de poing formidables qui faisaient tressauter les verres et les bouteilles se heurter.

Saint-Aygous, être bilieux, jetait bien entre temps aux naufragés certains regards de défiance.

Mais les naufragés avaient mieux à faire qu’à gober au passage les regards bilieux de Saint-Aygous.

Seule la bouillabaisse prédispose déjà qui s’en nourrit à de fortes gasconnades maritimes ; elle est