Page:Arène - La gueuse parfumée - récits provençaux, 1907.djvu/285

Cette page n’a pas encore été corrigée
275
LE CANOT DES SIX CAPITAINES.

— Depuis notre dernier voyage le port est devenu trop petit.

A cette invraisemblable nouvelle, Miravail, haussant les épaules et murmurant : « Ils sont gris tous deux », quitta, non sans peine, son punch au kirsch, et sa cabine tout imprégnée d’une fine odeur de citron, d’alcool brûlé et d’amande amère.

Mais Trébaste avait dit vrai ; jamais, de mémoire de loup de mer, hallucination plus singulière :

En face d’eux, à travers la poussière d’eau, l’écume et les vagues, c’était bien Antibes que voyaient nos trois navigateurs, mais un Antibes plus petit encore que l’Antibes réel, lequel n’est pas grand ; un Antibes en raccourci, un Antibes de Lilliput. A part cela, même jetée et même port, et même phare crépi de blanc porté à bras tendu par le même môle.

— Allons ! pensa tout haut Miravail devant ce spectacle, il faut que je sois gris pour ma part. Pourtant, quand je suis gris, j’ai l’habitude de voir double ; or c’est ici le contraire qui arrive.

Il était trop tard pour reculer. Mené grand train vent arrière, couché sur le flanc, sa quille presque à l’air et son foc labourant la vague, le Singe-Rouge faisait feu sur l’eau, comme disent les Antibois, et filait d’une incroyable vitesse vers le fantastique petit port.

— La barre à bâbord, droit sur le chenal !

Le Singe-Rouge enfila le chenal : arrêt subit, cra-