Page:Arène - La gueuse parfumée - récits provençaux, 1907.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
222
LA GUEUSE PARFUMÉE


fataliste, la pratique de la vie l’avait préparé à supporter sans trop de peine les plus vives désillusions. A Aix, comme tant d’autres étudiants, trop pauvre et trop pressé de travail pour se faire une maîtresse, il s’était jeté dans la débauche. Dès trente ans, il se croyait blasé ; il n’en conservait pas moins un cœur tout neuf, une imagination naïve, et mademoiselle Jeanne était vraiment son premier amour.

Le coup fut rude pour lui, mais la guérison d’autant plus prompte.

— « C’est avoir peu de chance, pour une fois que j’essaye. Baste ! se dit-il, on n’en meurt pas ! »

Maintenant il parcourait, sans trop songer à son malheur, Meouge et ses chemins en corniche tracés à vingt mètres au-dessus du torrent, dans le vif des parois calcaires. Il regardait, d’un œil à moitié consolé, ces grands blocs roulés, ces cascades, l’eau claire sur la roche aride, et, de loin en loin, coupant la vallée à angle droit, une gorge, une double pente verte comblée de noyers et de frênes, et tapissée de prairies si fort en pente, qu’elles avaient l’air de glisser.

Aussi, tandis que, rue du Riou, les paysans s’entretenaient du prochain mariage, que les bourgeois de la ville haute s’agitaient et que les artisans raillaient ; tandis que l’abbé Mistre, heureux du prétexte, traquait à mort l’infortuné Balandran ; tandis que le père Antiq, mécontent, accablait Cadet de bourrades ; tandis que M. Blasy promenait, d’Entrays au cercle,