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JEAN-DES-FIGUES.

Mais que la cause de ta distraction ait été la philosophie ou l’amour, je t’en prie, ô Blanquet ! ne garde aucun remords au fond de ton âme d’âne. Comment t’en voudrais-je d’avoir une fois par hasard remué l’oreille, moi qui, dans le courant de ma vie, remuai l’oreille si souvent ! Est-on d’ailleurs jamais sûr que ceci soit bonheur et cela malheur en ce monde ? J’avoue pour mon compte qu’après y avoir réfléchi vingt-cinq ans, j’en suis encore à me demander si le brûlant rayon de soleil qui, par ton fait, m’est entré dans le cerveau, il faut le bénir ou m’en plaindre.

Donc, ce jour-là, Blanquet remua l’oreille, il la remua même si fort, qu’au lieu de dormir à son ombre, je dormis à côté une demi-heure durant, ma tête nue au grand soleil. Que vous dirai-je ? je n’y voyais plus quand je m’éveillai ; je trébuchais sur mes jambes comme une grive ivre de raisin, et il me semblait entendre chanter dans ma tête des millions, des milliards de cigales. — « Ah ! mon pauvre enfant ! il est perdu…» s’écriait ma mère.

Je n’en mourus pas cependant. A la ferme voisine, une vieille femme, avec des prières et un verre d’eau froide, me tira le rayon du cerveau. Vous connaissez le sortilège. Mais si bonne sorcière qu’elle fût, il paraît que le rayon ne sortit pas tout entier et qu’un morceau m’en resta dans la tête. Le pauvre Jean-des-Figues ne se guérit jamais bien de cette aventure ; il en garda la raison un peu troublée et le cerveau plus