Page:Arène - La gueuse parfumée - récits provençaux, 1907.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
LA GUEUSE PARFUMÉE.


pouvait au dernier moment arranger tout, empêcher la vente. Le père Antiq, d’ailleurs, n’en avait jamais rien dit à personne, si ce n’est à Cadet, son fils, la nuit de Noël, après avoir bu un doigt de vin cuit.

Aussi avait-il en fin de compte l’air de méchante humeur, le père Antiq, lorsque arrivé rue du Riou, il tira le loquet de sa porte, flanquée, comme contrefort, de deux très-gros tas de fumier.

— Ho ! Cadet ! Cadet ! cria-t-il en posant dans un coin son bissac et sapioche. Mais Cadet ne répondit pas. Ce Cadet-là était un gaillard de quatorze ans, fort comme à seize, et qui, depuis la mort de sa mère, gouvernait tout dans le ménage.

— Cadet trempe la soupe, il ne m’aura pas entendu, pensa le père Antiq en attachant l’âne à la crèche.

Mais soudain l’âne se mit à braire, étonné. L’âne broyait le foin à pleine mâchoire dans cette maigre crèche dont il avait si souvent, après des repas moins splendides, rongé le bois pour son dessert.

— Encore un tour de Cadet, Cadet devient fou ! murmura le père Antiq ; et soigneusement il enleva la pitance de sous le bec du pauvre âne décontenancé.

Un bée joyeux se fit entendre. Le père Antiq leva la tête et vit sur un amas de fagots la chèvre perchée, broutant à même les feuilles sèches, et prête à dévorer en moins d’une heure sa provision de tout l’hiver.