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FRIQUETTES ET FRIQUETS

militaire en Russie, pour moi, à l’idée d’esturgeon se rattache un des plus lamentables souvenirs de mes années d’apprentissage littéraire.

Je n’étais pas précisément riche alors ; l’éditeur ne m’apparaissait que sous la forme d’un être fantastique vivant dans le lointain des rêves ; et comme, mon logement et mon blanchissage payés, il me restait environ vingt sous à dépenser par repas, je déjeunais et dînais dans un restaurant fréquenté surtout par les élèves des Beaux-Arts, où matin et soir, pour vingt sous, un restaurateur famélique et bossu, surnommé le père Mayeux, faisait semblant de nous servir une apparence de nourriture.

L’appétit, un appétit féroce et constamment entretenu par ce régime simplifié, ne m’attirait pas seul en ces lieux. Une autre fringale, la fringale d’amour, aussi impérieuse, aussi peu régalée que l’autre, m’y attirait également. De sorte que, en passant la porte, parfois je n’aurais pu dire lequel était le plus ému de mon estomac ou de mon cœur.

Figure-toi que le père Mayeux, la nature