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LA MORT DES CIGALES

bien de la famille, et devait cette après-midi relever les sarments de notre vigne de Toutes-Bises. C’était là mon remède ordinaire, et rarement mes maladies avaient résisté à quelques heures de promenade à la vigne en compagnie de cet homme sentencieux et réfléchi qui savait le nom des plantes, la place des astres, reconnaissait les oiseaux à leur chant et me paraissait un peu sorcier.

Le plus souvent je voulais l’aider ; mais cette fois je préférai rester tout seul, assis à l’écart, près de la source.

Le travail fut long : il s’agissait, sans éborgner les jeunes pousses, de descendre les fagots de l’année d’avant, épars entre les souches, jusqu’au bas des allées où broutait l’âne. De temps en temps, Peu-Parle me criait :

— T’ennuies-tu, petit ?… Si tu as faim, cueille une figue.

Mais je n’avais pas faim et ne m’ennuyais pas : le cœur un peu gros, je pensais à Domnine.

— Il faut pourtant achever aujourd’hui, nous nous en irons avec la lune !

Lorsque Peu-Parle eut achevé, lorsqu’il eut lié la charge de l’âne, il profita d’un reste de jour pour faire un feu de brindilles entre trois pierres et préparer une omelette d’œufs dénichés au poulailler et de fines herbes que nous cueillîmes. Puis on s’installa par terre sous la treille, qui, entre ses ceps tortus pareils à de grands serpents noirs, laissait passer le regard des premières étoiles. La nuit était venue, et Peu-Parle n’avait pas apporté de lanterne, ne croyant pas rester si tard.