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LES HARICOTS DE PITALUGUE

pas entre eux) notre homme, après cinq minutes de profond désespoir, prit, comme on l’a vu, son parti en brave :

— Je ne peux pas semer des haricots puisque je n’en ai plus, se dit-il en riant dans sa barbiche, mais je peux faire semblant d’en semer. La Zoun n’y verra que du feu — le hasard est grand — et d’ici à la récolte bien des choses se seront passées.

Bien des choses en effet se passèrent qui mirent Pertuis en émoi.

D’abord, Pitalugue changea du tout au tout. Talonné par le remords et craignant toujours d’être découvert, il renonça au jeu, déserta l’auberge. Lui, que ses meilleurs amis accusaient de paresse, on le vit, dans son petit champ, piocher, gratter, travailler à mort.

Jamais haricots mieux soignés que ces haricots qui n’existaient pas !

Tous les soirs, au coucher du soleil, il les arrosait. Le jour, si parfois, sous un soleil trop vif, la terre séchait et faisait croûte, Pitalugue la binait légèrement pour permettre au grain de lever. Souvent aussi, la main armée d’un gant de cuir, il arrachait le chardon cuisant, le séneçon envahisseur et le chiendent tenace.

Ses voisins l’admiraient, sa femme n’y comprenait rien, et M. Cougourdan radieux rêvait toutes les nuits de haricots saisis.

Or, au bout d’une quinzaine, de ça, de là, tous les haricots de Pertuis se mirent à lever le nez : une pousse blanche d’abord, recourbée en crosse d’évêque, deux feuilles coiffées de la graine et portant