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LES HARICOTS DE PITALUGUE

C’est pour cela que Pitalugue, jadis à son aise, se trouve maintenant gêné. La récolte est mangée d’avance, les terres entamées par l’usure ; et quelles scènes quand il rentre un peu gris et la poche vide dans sa maisonnette du Portail-des-Chiens ! Quels remords aussi, car, au fond, Pitalugue a bon cœur. Mais ni scène ni remords ne peuvent rien contre les cartes. Pitalugue jure chaque soir qu’il ne jouera plus, et chaque matin il rejoue.

Ainsi, aujourd’hui, il s’était levé, ce brave Pitalugue, avec les meilleures intentions du monde. Au petit jour et les coqs chantant encore, il était devant sa porte en train de charger sur l’âne un sac de haricots. Et quels haricots ! de vrais haricots de semence, émaillés, lourds comme des balles, ronds et blancs comme des œufs de pigeon.

— Emploie-les bien et ménage-les, disait la Zoun en donnant un coup de main, tu sais que ce sont nos derniers.

— Cette fois, Zoun, le diable me brûle si tu n’es pas contente !… À ce soir !… Arri ! bourriquot.

Et Pitalugue était parti, vertueux, derrière son âne.

Par malheur, aux portes de la ville, il rencontra le perruquier Fra qui s’en revenait, les yeux rouges, ayant passé sa nuit à battre les cartes dans une ferme.

— Tu rentres bien tard, Fra !

— Tu sors bien matin, Pitalugue !

— Le fait est qu’il ne passe pas un chat.

— Ce serait peut-être l’occasion d’en jouer une.

— Pas pour un million, Fra.