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CONTES DE PARIS ET DE PROVENCE

rigoles. Puis, tout ainsi réglé, Pitalugue reprit une par une ses rigoles et, l’air attentif, un genou en terre, il sema.

— Semons du vent, murmurait-il ; c’est, quoiqu’en dise Monsieur le curé, le seul moyen qui me reste aujourd’hui de ne pas récolter la tempête.

Et Pitalugue, en effet, semait du vent. C’est pour prendre du vent, disons mieux : c’est pour ne rien prendre du tout que, de trois secondes en trois secondes, il envoyait la main à sa gibecière ; ce n’est rien du tout qu’il y saisissait, ce n’est rien du tout que son pouce et son index rapprochés déposaient avec soin dans le sillon ; et la paume de sa main gauche, rabattant à chaque fois la terre, ne recouvrait que des haricots imaginaires.

Cependant, à cent mètres au-dessus du champ, dans le petit bosquet qui ombrage la côte, un homme que Pitalugue ne voyait point, suivait de l’œil, avec intérêt, les mouvements compliqués de Pitalugue.

— Eh ! eh ! se disait-il, Pitalugue travaille.

Perché ainsi dans la verdure, avec son nez crochu, ses lunettes d’or et son habit gris moucheté, un chasseur l’aurait pris de loin pour un hibou de la grosse espèce.

Mais ce n’était pas un hibou, c’était mieux : c’était M. Cougourdan, le redouté M. Cougourdan, marchand de biens, que la rumeur publique accusait d’usure.

M. Cougourdan aimait la nature ; un beau paysage l’inspirait, le chant des oiseaux, loin de le distraire, ne faisait, qu’activer ses calculs, et c’est