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CONTES DE PARIS ET DE PROVENCE

imagina en conséquence de vendre une de ses terres et de construire, avec l’argent, un bac dont il serait le passeur. Le bac fut vite achalandé, les doubles deniers semblaient pleuvoir du ciel, et Bénistan se croyait déjà riche, quand les moines du couvent voisin, ayant reconnu que la spéculation était bonne, établirent, à un quart de lieue au-dessus, un pont de pierre assez large et assez solide pour porter chevaux et charrettes, de sorte que, abandonné de tous, le bac du pauvre Bénistan finit par pourrir dans les saules.

Une autre fois, Bénistan qui, après un certain nombre d’entreprises pareilles, toujours commençant bien et toujours tournant mal, ne possédait plus, pour toute ressource, qu’un rocher pelé, Bénistan essaya d’y cultiver des ruches.

— Les abeilles se réveilleront là comme chez elles, et leur miel sera bon à cause des lavandes.

Tout l’hiver, Bénistan travailla à installer ses ruches dans les abris de son rocher ; et, quand approcha le printemps, il se mit à courir la campagne, dépensant ses derniers sous à acheter tous les essaims qui pendaient aux branches.

— Décidément, dirent les voisins, Bénistan a trouvé la veine.

Sa femme elle-même y croyait. Personne n’avait les yeux assez grands au village pour admirer ces cent ruches bien alignées d’où coulaient déjà des fils de miel roux, et autour desquelles les abeilles dansaient dans le soleil, comme des étincelles d’or.

La récolte fut bonne la première année : elle paya presque les frais. Mais la seconde, les lavandes