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son corps déchiré en pluſieurs morceaux, et ses membres dispersés de côté et d’autre. Je connus bien que c’étoit l’ours qui l’avoit ainsi mis en pièces, et j’aurois assurément dit ce que j’en savois, si j’avois eu l’usage de la parole ; tout ce que je pouvois faire étoit de me réjouir en moi-même, de voir que j’étois vengé, quoique ce ne fût pas si-tôt que je l’avois souhaité.

Quand ils eurent trouvé toutes les parties de ce cadavre, et qu’ils les eurent assemblées avec assez de peines, ils l’enterrèrent sur le lieu même, et menèrent chez eux l’homme qu’ils avoient trouvé qui m’emmenoit (24), après l’avoir bien lié et garotté comme un voleur pris sur le fait, et comme un homicide, pour le mettre le lendemain, à ce qu’ils disoient, entre les mains de la justice, et lui faire faire son procès. Cependant, dans le temps que les parens du jeune homme déploroient sa mort par leurs cris et leurs larmes, arriva ce paysan qui s’offrit de me faire l’opération qui avoit été résolue. Ce n’est pas là, lui dit un de ceux qui étoient présens, ce qui cause notre peine, à l’heure qu’il est ; mais demain vous pourrez couper à cette méchante bête tout ce que vous voudrez, même la tête, si vous le voulez, et tous mes camarades vous aideront.

C’est ainsi que mon malheur fut remis au lendemain, et je rendois grace en moi-même à ce bon garçon qui, du moins par sa mort, retardoit ma