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manger de toutes ces viandes qui étoient là de côté et d’autre. Alors, sans songer au dommage que je leur causois, et très-surpris du goût extraordinaire d’un âne, ils se prirent à rire de toute leur force, et ayant appellé plusieurs des domestiques de la maison, ils leur firent voir la gourmandise surprenante d’un animal tel que moi. Tous ces valets firent de si grands éclats de rire, que leur maître qui passoit près de là, les entendit, et demanda quel étoit le sujet qui faisoit ainsi rire ses gens. Quand il sut ce que c’étoit, il vint lui-même me regarder par le trou de la porte, et prit tant de plaisir à me voir faire, qu’il se mit à rire aussi à n’en pouvoir plus. Il fit ouvrir l’office, afin de me considérer de plus près ; car, sans me troubler en aucune manière, je continuois toujours de manger, voyant que la fortune commençoit à m’être favorable par quelque endroit, et la joie que je remarquois sur le visage de tout le monde, me donnant de la hardiesse. Enfin le maître de la maison, fort réjoui d’un spectacle si nouveau, ordonna qu’on me menât dans la salle à manger, ou plutôt, il m’y mena lui-même, et fit servir devant moi quantité de toutes sortes de mets, où l’on n’avoit pas touché.

Quoique je fusse honnêtement rassasié, cependant, pour me mettre encore mieux dans ses bonnes graces, je ne laissai pas de manger avec avidité de tout ce qui étoit sur la table. Les domestiques