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dont il venoit de couper du fromage, et quelques autres mets à ceux qui mangeoient avec lui, il s’en donna plusieurs coups dans la gorge, à l’exemple de son malheureux fils, et tomba sur la table, lavant avec les flots de son sang, les taches de cet autre sang qui y avoit jailli par un prodige. Mon jardinier déplorant la malheureuse destinée de cette maison, qui étoit détruite en si peu de temps, et très-affligé de la perte d’un homme qui vouloit lui faire du bien, après avoir payé par quantité de larmes le dîner qu’il venoit de faire, et frappé bien des fois ses deux mains l’une contre l’autre, qu’il remportoit vuides, monta sur mon dos, et reprit le chemin par où nous étions venus.

Mais il ne put regagner son jardin sans accident ; car un grand homme que nous rencontrâmes, qui, par sa mine et son habit, paroissoit être un soldat d’une légion romaine (23), vint lui demander arrogamment, où il menoit cet âne à vuide. Mon maître qui étoit accablé de tristesse et qui d’ailleurs n’entendoit point la langue latine, continuoit toujours son chemin sans rien répondre. Le soldat, offensé de son silence comme d’un mépris, et suivant les mouvemens de son insolence ordinaire, le jette par terre, en lui donnant plusieurs coups d’un sarment qu’il tenoit en sa main (24). Le jardinier lui disoit humblement qu’il ne pouvoit savoir ce qu’il vouloit dire, parce qu’il n’entendoit pas sa langue. Alors