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le seul nom fait trembler toutes ces provinces, fils de Théron, cet insigne brigand (5), qui m’a élevé au milieu de sa troupe, qui m’a nourri dans le sang et le carnage, et m’a rendu le digne héritier de sa valeur. Mais j’ai perdu en peu de temps tous mes braves compagnons, et les richesses immenses que j’avois amassées, pour avoir attaqué témérairement un homme qui avoit été receveur de finances de César (6), pendant qu’il passoit pour se rendre au lieu de son exil, où, par un revers de fortune, il avoit été condamné ; et pour vous mieux instruire du fait, je vais vous le conter d’un bout à l’autre.

Il y avoit à la cour un homme de grande distinction, illustre par les emplois qu’il avoit possédés, et fort bien dans l’esprit de l’Empereur ; mais par les calomnies de quelques envieux de sa fortune, il fut disgracié et envoyé en exil. Son épouse, qui se nomme Plotine, femme uniquement attachée à ses devoirs, et d’une vertu singulière, dont il avoit eu dix enfans, se résolut de l’accompagner ; et sans se soucier des délices et du luxe des villes, elle voulut partager son malheur. Elle coupa ses cheveux comme ceux d’un homme, en prit l’habit, et mit plusieurs ceintures autour d’elle, pleines d’or monnoyé et de joyaux d’un grand prix. En cet état, elle suivit son mari, au milieu des soldats armés qui le gardoient ; elle eut part à tous les périls qu’il courut, et veillant continuellement à sa sûreté, elle suppor-