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qu’il ait jamais rien voulu avouer sur toute cette affaire ; qu’on avoit envoyé cependant plusieurs gens dans le pays de ce Lucius, pour tâcher de le découvrir, afin de le faire punir comme son crime le mérite.

Pendant que ce voleur faisoit un tel rapport, je gémissois du fond de mon cœur, en comparant l’état misérable, où je me voyois réduit sous la forme d’un âne, à la vie heureuse, dont je jouissois pendant que j’étois Lucius ; et je pensois en moi-même que ce n’étoit pas sans raison que nos sages anciens ont nommé la fortune aveugle (1), et l’ont représentée même sans yeux, puisqu’elle répand ses faveurs sur des scélérats et des gens indignes, et ne choisit jamais personne avec discernement. Que dis-je ? elle s’attache à suivre ceux qu’elle fuiroit continuellement, si elle voyoit clair ; et ce qui est de plus cruel, elle nous donne ordinairement une réputation que nous ne devons point avoir, et qui est même toute contraire à celle que nous méritons : de manière qu’un méchant homme passe souvent pour homme de bien, et que le plus juste et le plus innocent est quelquefois condamné et puni, comme s’il étoit coupable. Enfin, moi, qui par une disgrace affreuse de cette même fortune, me voyois sous la forme du plus vil et du plus misérable de tous les animaux (2) ; moi, dis-je, dont l’état déplorable auroit excité la pitié de l’homme le plus